"Un long voyage au bout de la peau" par Pierre Restany
Bruxelles, le 23 septembre 1968
La sagesse populaire dissocie radicalement le continu du contenant : « on est bien dans sa peau » - « je ne voudrais pas être dans sa peau ». Ainsi se délimite le territoire humain par excellence. La peau incarne la frontière physique d’un psychologie, d’un sentiment, d’une sensibilité : le moi est dans le sac.
Il est de moments où le sac est un prison. Qui n’a jamais eu envie de sortire de soi-même ? La nature voue certains mollusques à la quête incessante du coquillage protecteur : la cuirasse des autres . Nicola nous offre une peu seconde, lisse et imperméable . En apparence comme en réalité, plastique dans tous les sens du terme . Dressés sue des châssis, appendices de la toile tendue, des panoplies de manchons, de jambières et de bonnets aveugles nous invitent au voyage . Un voyage qui est un rite organique de pénétration et d’osmose. Cette peau synthétique, la peau de tous et la peau de personne, recueille en ses plis la chaleur de la chair : après la rétraction elle garde un instant l’empreinte de la présence passée, la trace immédiate de son absence. Pénétration de l’intérieur, retour à la matrice-mère, le pénis et la vulve, le doigt et le gant : nous remontons d’emblée à la source de la vie, dans l’univers organique de toutes les renaissances.
Cette introspection tactile u corps conduit tout naturellement à l’analyse de détail. En d’autres termes à la dissection anatomique. Cette étape logique, Nicola n’a pas manqué de la franchir. Un Vénus cyclopéenne est découpée en X morceaux de plastique rembourré : fraise écrasée est la couleur du tas d’abattis. Dissection et agrandissement objectivement chaque partie du corps. Landru se domestique : la main géante devient un meuble, coussin-pieuvre tentaculaire ; le pied de Gargantua est une méridienne.
Ni les objets mous d’Oldenburg, ni les sculptures abstraites d’Arnal, qui ont recours aux mêmes matériaux, n’atteignent à cette intensité organique dans la communication direct. La vision de Nicola n’ emprunte rien au folklore de la nature moderne. Elle n’échafaude aucune structure imaginaire. Elle taille dans la chair vive de nos sens. Elle nous invite à vivre, comme elle, au bout de notre peau. La démarche de Nicola nous émeut parce qu’elle nous concerne intimement. Cette femme étrangère à tous en apparence et d’abord à elle même, réhabilite à nos yeux la sensualité de l’épiderme. Il n’est pas vrai que les apparences sont trompeuses : elles sont la peau des choses, et elle sont là, voilà tout ! Il faut les pénétrer pour les vivre, et la vie n’est que ça.
L’œuvre de Nicola apparaît comme une « leçon de choses » pour adultes sensibles et consentants. L’épreuve est singulièrement enrichissante : la peau a trouvé la son langage tactile, sa gestualité souple, son expressivité générale .